En route vers Panama – Puerto Obaldia
Mercredi 14 Décembre – C’est le début de la saison des alizés. Il
faut profiter de cette dernière fenêtre météo avec un vent prévu
inférieur à 25 noeuds… sinon nous risquons de rester coincés à
Curaçao pour plusieurs semaines… Notre route pour rejoindre le
sud-est de Panama nous fait longer la côte Colombienne et contourner
le « Cabo de la Vela » qui est surnommé « le Cap Horn des Caraïbes »!!!
Les sommets à plus de 4000 mètres créent des vents violents, la
houle s’amplifie lorsque les fonds remontent brusquement de
plusieurs milliers de mètres et les courants qui se heurtent à ce
vent et cette houle montent une mer hachée avec des lames courtes et
hautes… Un homme averti en vaut deux et quand « Hibiscus » et
« l’Albatros » appareillent nous sommes parés pour quelques jours de
navigation potentiellement difficiles. Afin de limiter les risques
nous choisissons une route qui passe à plus de 50 milles de la côte
et dans jamais moins de 1000 mètres d’eau… beaucoup plus long….
mais espérons limiter ainsi les effets de ces perturbations autour
de ce « Cap Horn »!
Premières 24 heures assez tranquilles. Le vent est de trois quarts
arrière et nous filons à plus de 7 nœuds. L’Albatros, plus grand et
plus rapide, nous devance rapidement. A la tombée de la nuit il
réduit sa voilure afin de garder le contact visuel.
Deuxième jour, nous commençons à prendre un cap vers le sud-ouest…
nous naviguons vent arrière et pouvons tangoner le génois… le vent
forcit… les voiles sont fortement réduites. La houle et les
vagues qui déferlent de façon impressionnantes autour de nous
frappent Hibiscus de 3/4 arrière – a certains moments ce sont des
murs d’eau qui déboulent sur nous… mais Hibiscus se fait porter
calmement jusqu’au sommet de ces montagnes et glisse vers la
vallée. Si la vague déferle contre la coque, on se prend une grande
claque, les gerbes d’eau sont soufflées dans le cockpit…
vivifiant. Il ferait presque froid et nous devons mettre un
tee-shirt! Le pilote automatique fait sont travail et nous avançons
très vite sans embardées – on se sent en toute sécurité.
L’anémomètre à enregistré des rafales de vent à 50 nœuds et le GPS
montre que nous avons atteint une vitesse maximale de 23 nœuds!!!
probablement quelques secondes de surf sur une vague.
Au matin du troisième jour, Steph et Valérie sur l’Albatros nous
annoncent qu’ils vont faire escale à Santa Marta sur la côte
Colombienne afin de se reposer. Après téléchargement d’un fichier
météo, nous décidons de poursuivre car plus on avance dans la
saison, moins nous avons de chance de trouver une fenêtre météo pas
trop mauvaise. Le vent faiblit et la nuit suivante sera au
moteur… puis nous rentrons dans un système de grains… Nous
contournons ceux qui nous semblent dangereux – nuages très bas
noirs comme de l’encre et un rideau d’éclairs verticaux entre ces
nuages et la mer. L’un d’eux nous a poursuivi pendant plus de 4
heures et le tracé de notre route est un zig-zag pour d’abord
essayer de le passer par le nord puis, alors qu’il infléchissait sa
route comme s’il nous suivait, demi-tour pour le laisser passer
devant… Sous les nuages c’est un déluge d’eau et nous remplissons
nos cuves… A cause de ces pluies abondantes des troncs d’arbres
et autres débris sont charriés par les eaux boueuses qui viennent du
fond de la baie… Nous devons aussi rester vigilants pour les
éviter!
Dimanche 18 Décembre – En milieu de matinée nous apercevons les
montagnes du Darien au Panama. Quelques heures plus tard nous
arrivons en face de Puerto Obaldia qui n’est qu’à quelques
kilomètres de la frontière Colombienne. La baie est peu abritée et
la houle du nord-est nous pousse entre les récifs… « non, ce n’est
pas possible de mouiller ici! »… « avançons un peu plus près de la
plage au fond de la baie »… peu convaincus, nous jetons l’ancre,
certains que nous ne pourrons pas rester. A chaque vague le nez
d’Hibiscus monte à la verticale et la chaine d’ancre se tend. Nous
mettons un amortisseur pour limiter les chocs. Pas très
confortable, mais le vent et la houle sont dans le même sens ce qui
fait que le bateau tangue, mais ne roule pas. Nous décidons d’y
passer la nuit et de faire les formalités d’entrée au Panama tôt le
lendemain…
Au milieu de la nuit le vent change de direction de 90°!!! les
vagues nous arrivent maintenant par le travers… Nous sommes
projetés d’un bord à l’autre à chaque vague… impossible de
dormir!
Lundi 19 Décembre – Ciel toujours gris menaçant avec des lambeaux de
nuage accrochés au flan des montagnes. On se croirait dans les
Vosges en hiver! Un peu avant 9h00 tous nos documents sont dans un
sac étanche et nous mettons l’annexe à l’eau. Un peu d’acrobatie
pour monter dedans alors que l’annexe fait un bond à chaque vague…
nous voici en route pour le village. Première tentative d’accostage
sur le quai… mais celui-ci est trop haut et les vagues nous
empêchent d’accoster… nous choisissons de débarquer sur un coin
de plage un peu abrité où les rouleaux ne sont pas trop forts…
trois grosses vagues, puis un calme relatif… vite nous fonçons sur
la plage, sautons sur la berge et tirons l’annexe au sec avant la
prochaine série de vagues.
Un militaire nous accueille gentiment sur la plage et, tout en nous
souhaitant la bienvenue, nous escorte jusqu’au poste de police
militaire. Les militaires sont partout dans le village avec leurs
armes automatiques à la main. Eh oui, nous sommes dans une ville
frontière… les guerrieros et contrebandiers ne sont pas loin…
les paysans locaux se font également arrêtés pour contrôler le
chargement de leurs ânes.
Puerto Obaldia n’est pas vraiment une ville, c’est plutôt un poste
frontière avec des militaires et quelques services administratifs.
Tout autour ce ne sont que des montagnes, il n’y a pas de routes
dans toute la partie est du Panama et le seul moyen de transport est
le bateau ou l’avion avec deux vols par semaine en direction de
Panama City. Une rue principale (ou plutôt chemin), quelques
baraquements et « maisons » de chaque côté, quelques allées
perpendiculaires avec d’autres « maisons »… et c’est tout!
Premier arrêt au bureau de l’immigration. Il faut des photocopies
de nos passeports… On nous envoie au bout du village où un « café
Internet » peut faire des photocopies… retour à l’immigration où
on nous explique la procédure et le coût de 15 dollars par
personne. Mais, avant de tamponner nos passeports, nous devons lui
présenter un « Zarpe » ou droit de navigation. D’après notre guide
cela coute dans les 60 dollars pour 3 mois. Il nous accompagne
trois portes plus loin aux autorités maritimes…. et là surprise!
ce n’est pas 60 dollars qu’on nous demande, mais 220! Ça sent
l’arnaque! Aucune discussion possible… nous quittons le bureau en
expliquant que nous allons poursuivre notre route sans nous arrêter
au Panama… De retour sur le bateau nous épluchons des dossiers
collectés sur Internet et constatons qu’en 2011 une nouvelle loi
impose aux plaisanciers d’acheter un droit de navigation valable 12
mois et qui coûte 220 dollars! que faire? nous n’avons que 400
dollars US sur nous et savons que nous ne verrons pas de banque
avant au moins deux mois!!! 150 dollars, ce n’est pas beaucoup pour
vivre plus de 2 mois!
Nous retournons à terre avec notre guide du Panama sur lequel il est
indiqué que le droit de navigation coûte 60 dollars. Nous montrons
notre source d’information à l’employé des autorités maritimes… il
regarde avec intérêt les cartes et photos de notre guide et est fier
de nous montrer une photos de son village d’origine… rapidement
ils sont plusieurs à feuilleter le livre… puis il nous explique
calmement… nouvelle loi… bla, bla, bla… 220 dollars!
L’ambiance est chaleureuse et nous n’avons rien à perdre. Nous lui
exposons donc notre situation et la difficulté dans laquelle nous
sommes… « Pas de problème, vous achèterez votre droit de
navigation dans le prochain port ». Génial! et nous retournons à
l’immigration pour faire tamponner nos passeports… mais pas de
« Zarpe », pas de tampon!
Alors, retour aux autorités maritimes… L’employé s’absente une
dizaine de minutes… de retour il met un feuillet dans sa machine
à écrire et tape une lettre à la fois… tac… tac… tac….
drring…. quelques tampons, une signature…. pour 35 dollars
nous vend un « Zarpe officiel » qui nous couvre jusqu’au port de
Porvenir que nous atteindrons dans deux mois.
Il est midi. Quelques personnes attendent déjà dans le bureau de
l’immigration… silence, rien ne bouge… policiers, militaires,
employés, clients, tous ont un cornet de glace à la main et sont
concentrés… au coin du chemin, un marchand ambulant avec sa
charrette équipée d’un générateur fort bruyant fabrique de la
glace. Alors que je prends ma place dans la file d’attente,
Nathalie se joint à l’attroupement autour du marchand de glace.
Elle revient triomphante avec deux cornets que nous avalons vite
fait avant que la chaleur ambiante ne les fasse disparaitre…
Hummm! c’est bon et rafraichissant.
Enfin notre tour arrive… un jeune en basket et tee-shirt « Nike »
s’installe au clavier de l’ordinateur… après 5 minutes il trouve
le bon formulaire et s’applique à le remplir lettre par lettre…
puis un buzzer retentit… il arrête l’ordinateur… puis plus
rien! Nous comprenons que l’ordinateur est alimenté par des
batteries, qui elles mêmes sont rechargées par un panneau solaire
sur le toit… et il n’y a pas de soleil!!!
Après une demi heure il remet l’ordinateur en marche et recommence à
taper sur son clavier… l-e-n-t-e-m-e-n-t … la batterie n’a pas
eu le temps d’être rechargée et nous guettons le moment où le buzzer
fatidique va sonner… l’horloge tourne… le stress monte…
tuuuuuuuuuuuut… mais il continue à taper…. puis, plus rien…
l’écran est noir! Nous attendons une demi-heure que la batterie
emmagasine un peu d’énergie pour un troisième essai… même
scénario… Nous nous voyons déjà bloqué dans ce trou jusqu’à ce que
soleil fasse son apparition! Enfin il sort un formulaire et nous
annonce qu’il va le remplir à la main… Cinq minutes plus tard
nous sortons du bureau de l’immigration en règle. Vive la
technologie!!!
Retour sur hibiscus et appareillage immédiat pour couvrir les 12
milles qui nous séparent du premier village Kuna avec une baie bien
abritée…